LES PETITES HISTOIRES DU MONDE DES RÊVES



GÉNÈSE ET ESCHATOLOGIE SELON LES QESEMTI & NOTES ANTHROPOLOGIQUES

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Ceci sont des récits compilés lors de mes voyages à Tagïvam, un archipel situé à l'Est d'Osabuñ, où j'ai eu l'occasion de rencontrer et de m'intégrer avec les peuples Qesemti. Ce peuple est composé de Hañya - tels moi-même, d'où ma plus grande facilité d'intégration - et a un mode de vie nomade, se déplaçant selon les troupeaux et selon les disponibilités des sources d'eau. Leur mode de vie pacifique est aidé par des fréquentes rencontres entre clans où la musique ainsi que raconter des anciennes histoire ensemble, créant donc un sentiment de communauté plus large, et la plus importante de ces rencontres sont les Funérailles d'Irsdüna, où tous les clans se réunissent au Mausolée d'Irsdüna pour faire une rencontre du même type.

Les légendes que je présentrai ici sont particulièrement intéressantes comme ils ont beaucoup tendance à remettre en question les histoires universelles, avec l'inclusion de bizarres détails qui semblent rendre compte d'une réalité perdue par beaucoup d'autres civilisations - peut-être relatés par cet étrange personnage qu'est "Irsdüna", le dieu principal de la religion qu'on n'arrive à relier à aucune figure connue dans d'autres mythologies. Entrelacé avec ça se trouvent beaucoup d'influences de la religion des Ooxöoln dont les pratiques ont été rétroactivement justifiés dans les mythes.

Est important à noter le fait que, comme ces histoires sont racontées de très nombreuses fois par de nombreux conteurs de nombreux clans différents, il n'en existe aucune version définitive. J'ai donc fait un choix de relater la version que je trouvais à la fois la plus représentative et la plus anthropologiquement intéressante. J'ai aussi fait un choix dans le nom des personnages, comme les noms souvent changent dans un processus que des amis s'intéressant à la langue nomment "harmonie" ainsi que à cause des qualificatifs appliqués sur les noms qui changent même au sein d'un même récit. Ainsi, si vous entendez une autre version de ces mythes durant un voyage, ne soyez pas étonnés. Enfin, j'ai fait aussi des choix de traduction afin de mieux correspondre aux expressions utilisés dans notre langues, mais parfois certains détails ne peuvent pas être retranscrits, ainsi je les ai annotés sous le texte ou directement après l'unité ambigüe entre crochets, afin de rendre votre expérience plus fluide.

Wu Synggu


Ci-suit le récit de Genèse, racontant la création du monde et ce qui s'est passé dans les grandes lignes jusqu'à aujourd'hui. Il sert souvent comme une sorte de récit-cadre, utilisé comme introduction ou comme large structure à l'intérieur duquel d'autres récits sont interposés.


Il y a longtemps, très longtemps, avant que mes grands-parents soient nés, avant le Ongkënqaxan, le Cënïrqaxan et même le Jovëngqaxan1 existait Unnïn [le commencement]2. Mais nul n'est fait pour être seul, ainsi Unnïn créa quatre dieux : Sïngokën, Imaüxin, Sagaja3 et Tövvend.4 5

Mais ces dieux n'étant pas Unnïn, ils n'avaient pas d'espace où apparaître. Alors Unnïn prit sa peau et créa le ciel. Mais ces dieux n'étant pas Unnïn, ils n'avaient pas de sol où se poser. Alors Unnïn prit ses os et créa les îles. Mais ces dieux n'étant pas Unnïn, ils n'avaient pas d'eau pour boire. Alors Unnïn prit son sang et créa les sources, rivières et pluies. Mais ces dieux n'étant pas Unnïn, ils n'avaient pas de quoi se nourrir. Alors Unnïn prit sa chair et créa les animaux et tous les autres mortels. Mais ces dieux n'étant pas Unnïn, ils n'avaient aucune pensée. Alors Unnïn prit son cœur et son cerveau et créa l'âme et la conscience.

Les dieux alors virent leur créateur défiguré, et comprirent qu'ils avaient causé la mort de leur géniteur. Alors Sïngokën dit "Prends ma chair, que tu puisses être nourrit.", Sagaja dit "Prends mon sang, que tu puisses être hydraté.", Imaüxin dit "Prends mes os, que tu puisses te tenir.", et Tövvend dit "Prends ma peau que tu puisses te protéger.".6 Mais alors dans un souffle qui fut le premier de tous les vents, Unnïn dit "Je suis tout, vous vivez en moi, sur moi, autour de moi, à ma gauche et à ma droite. Je ne vous abandonne pas, comme mon sacrifice a été souhaité. Mon esprit est omniprésent, omniscient, omnipotent, et en chacun d'entre vous. Regardez en vous et jamais je ne serai parti, et je serai là jusqu'à la fin, quand à nouveau tout deviendra un et le commencement [Unnïn] reviendra.".7 Et ainsi, le poumon de Unnïn fut vidé, mais les dieux ne furent pas tristes, comme ils avaient compris ce que disait Unnïn.

Les dieux fondèrent alors le premier des trois royaumes divins [ères],8 celle du Jovëngqaxan. Mais comme un royaume nécessite sujets, chacun des dieux se sépara et créa leur propre clan. Le clan de Sïngokën fut celui des Démons ailés, et comme Sïngokën croyait en l'intérieur de cette nouvelle réalité, ses enfants modifièrent le corps de Unnïn pour créer les paysages d'aujourd'hui. Le clan de Imaüxin fut celui des Humains ailés, et comme Imaüxin croyait en la bonne tenue du monde, ses enfants protégèrent le corps de Unnïn pour qu'il continue de fonctionner malgré sa mort. Le clan de Sagaja fut celui des Elfes ailés, et comme Sagaja croyait en l'énergie parcourant le monde entier, ses enfants manipulèrent le corps de Unnïn afin d'utiliser et équilibrer la magie le parcourant. Le clan de Tövvend fut celui des Êtres sans corps, et comme Tövvend croyait en ce qu'il y avait au-delà de la nouvelle réalité, ses enfants utilisèrent le corps de Unnïn pour en sortir et s'attaquer aux dangers qui s'y trouvaient.9

Mais les quatres clans du Jovëngqaxan n'étaient pas toujours d'accord : Les clans de Sïngokën et Sagaja se disputaient comme ils se gênaient l'un l'autre, et les clans de Imaüxin et Tövvend s'accusaient de ne pas correctement protéger le monde. Alors les clans de Sagaja et Imaüxin, mus par un commun intérêt pour les piliers du monde, s'allièrent, et voyant cela, les clans de Sïngokën et Tövvend eux aussi s'allièrent, et la guerre devint alors inévitable. Et lorsque Tövvend celui-ci même un jour ramena la Dégradation10 d'outre-Unnïn, Imaüxin et Sagaja ainsi que leurs clans, ayant peur pour la sécurité du monde, conclurent que les activités du clan Tövvend devaient toucher à leur fin. Mais comme aucun de ses membres accepta ces conditions, la guerre fut la seule solution.

Alors les clans partirent au combat. Ceux de Imaüxin et son allié Sagaja menèrent la charge contre les qodor [villages]11 de Tövvend, que Sïngokën aidait à protéger. Et ensuite, pour se venger, ceux de Tövvend assistés par Sïngokën attaquèrent les qodor de Sagaja, où rapidement Imaüxin transféra des troupes pour les protéger. Et ainsi va, ainsi vient, les qodor de Sïngokën furent attaqués, puis Imaüxin, et donc Tövvend avant Sagaja, pour qu'à nouveau Sïngokën fut la cible, et ce une fois, deux fois, cinq fois, vingt fois, cinquante fois et cent fois [beaucoup de fois]12.

Nul ne parvenait à gagner, et donc les clans repensèrent à leur place dans cette affaire, et le clan de Sïngokën, qui dans le même temps toujours maniait la Chair d'Unnïn, vit en premier combien nombreux les dangers que Tövvend présentait, ayant vu devant leurs yeux l'œuvre de Sïngokën tomber en ruine à cause de la Dégradation.13 Ainsi beaucoup dans son clan décidèrent de s'allier avec Imaüxin et Sagaja, dont Irsdüna et son fils Yusaï.14 La guerre donc enfin vit une porte de sortie, et comme tout le clan de Tövvend avait été éradiqué, dans un combat qui causa la mort de Sïngokën,15 Tövvend fut exécuté par Imaüxin.

La guerre avait fini, mais le monde était dévasté, et encore en proie à la Dégradation. Imaüxin après des années passées à combattre prit sa retraite et passa des siècles à méditer, jusqu'à devenir le premier en ce monde à atteindre le sogsëxkusang.16 Sagaja voulait faire pareil, mais comme l'énergie du monde était tellement déséquilibrée à ne pas avoir été protégée de la Dégradation tous ces siècles, Sagaja sacrifia toute son énergie pour restaurer le monde. Son énergie atteint la magie, qui put à nouveau fonctionner même si elle n'était plus éternelle, elle atteint tous les fils des clans restant, leur donnant des pouvoirs pour qu'ils succèdent à eux dieux, et elle atteint les corps de tous ceux qui étaient morts, créant en eux une âme et les faisant revivre dans les corps de ceux d'Imaüxa les humains, de ceux de Sagaja les elfes, de ceux de Sïngokën les démons [Hañ], et de ceux de Tövvend les esprits de la nature, formant les ancêtres à nous tous.17 Et après cela, Sagaja devint un grand arbre et atteignit en second le sogsëxkusang.18

Ainsi donc les fils des clans se rejoignirent et ensemble promettèrent de toujours veiller sur eux et sur le monde des habitants en fondant le Cënïrqaxan. Irsdüna fut chargé de veiller sur nous les descendants de Sïngokën, comme il est son fils, et il fit vivre chez nous le Cënïrqaxan jusqu'à sa mort, où a commencé le Ongkënqaxan, même si dans les terres gouvernées par Düna Egdazai toujours le Cënïrqaxan vit.19

Et ainsi est l'histoire de notre monde, et de nos ancêtres, que la connaissance de cela vous nourrissent de sagesse. Sëvëd sereš !20


Ci-suit le récit Eschatologique, annonçant ce qui se passe à la fin de notre monde. Celui-là faisait partie d'un plus large récit, et donc est plus court, mais ses très fortes influences de la philosophie Ooxöoln signifie qu'il n'est certainement pas un récit traditionnel, et que le récit Eschatologique originel était certainement très distinct.


Lorsque Cüqna [la fin]21 arrivera, en premier l'injuste cessera d'être injuste, et le juste cessera d'être juste. Ainsi, il n'y aura plus de mal, plus de bien, mais aussi plus de non-mal et plus de non-bien. Par conséquent, les règles ne seront plus, et donc les clans ne pourraient plus être. Et comme les clans ne seront plus, alors il n'y aura plus de société.22 Ensuite, ce sera les connaissances qui ne seront plus, alors la sogsëxkusang [cessation]23 ne sera plus, le chemin vers la sogsëxkusang ne sera plus, et ainsi les habitants mourront, et les animaux aussi. Puis ce sera le temps qui ne sera plus, et alors les dieux de ce monde mourront, ne pouvant gouverner sur un temps court, et long, et momentané, et infini tous à la fois, et ce sera le monde enfin qui mourra, ne pouvant exister sur un temps court, et long, et momentané, et infini à la fois. Et à la fin de tout ça, Cüqna sera achevé24, et Unnïn [le commencement] pourra à nouveau apparaître.25

Mise à jour : 28 juin 2023 17:14 Auteur : Le Monde des Rêves

Notes sur le récit de Génèse
 

  1. Les noms des trois ères, respectivement : des hommes, du ciel et des dieux.
  2. Le mot ici utilisé signifie littéralement commencement, mais dans la syntaxe il est clairement personnifié.
  3. Ces trois dieux correspondent clairement à ceux du mythe des trois dieux, chacun avec un titre : Sïngokën (Smílìng), Imaüxin (Ýlma) et Sagaja (Nãl - j vient de la coalescence de -dy-).
  4. Tövvend est clairement l'élément le plus intriguant de tout ce mythe, comme il n'a aucun équivalent dans d'autres cultures, mais n'est clairement pas non plus un dieu local comme une syllabe avec deux consonnes à la fin n'est utilisé que pour des noms propres ayant une origine lointaine en Maar (cf. Irsdüna). L'identité de ce personnage est inconnue, et la seule partie qu'on peut dire pour sûr fait partie de son nom est -nd, la plupart des spécialistes disant que son nom original était *-vend, et certains disant que son nom était directement *Tövvend, quoique je suis très sceptique par rapport à cette analyse comme les trois autres dieux ont un qualificatif.
    Quoi qu'il en soit, l'idée qu'il y ait un quatrième dieu originel est très intriguant, et nécessite absolument plus de recherches.
  5. Prononcé souvent Tövved ou Tövven, rarement Tövvend voire Tövvendi.
  6. Notez ici que les rôles des dieux est déjà suggéré par ce qu'ils sont prêts à donner à Unnïn / à donner au monde.
  7. Ce passage est clairement une innovation récente, comme il y a de très forts parallèles avec la philosophie Ooxöoln.
  8. Les Royaumes Divins, ceux qui auraient reigné sur les Qesemti, fonctionnent comme une manière de diviser le temps, ce qui est mieux traduisible en notre langue par "Ère". Ces Royaumes Divins sont eux-mêmes composés en Royaumes Terrestres, qui sont la succession d'états historiques (tout du moins historiques dans le Ongkënqaxan, l'ère actuelle).
    Dans la philosophie Qesemti la succession des Royaumes Divins montre une décadence et un malheur de plus en plus élevé, et donc la perte progressive du monde de Unnïn.
  9. Chaque dieu est associé avec l'une des races primitives : Humain, Elfe et Démon, et le mystérieux Tövvend est associé avec les Quams. Cela permet donc dans la philosophie Qesemti à la fois d'expliquer l'absence de Huhañ ainsi que d'établir une supériorité naturelle sur d'autres types d'êtres vivants.
  10. Encore une fois, ce mot est juste utilisé pour dire "dégradation" mais est utilisé d'une manière suggérant que c'est une entité définie, d'où cette traduction.
    Aussi, voyez en Dégradation le concept de vieillesse, de sénilité ; pas seulement la destruction des choses avec le temps (qui possiblement prédate l'arrivée de la Dégradation dans la mythologie, je n'ai pas de réponse claire à cette question).
  11. Les qodor sont dans la culture Qesemti des rassemblements de tentes, ainsi ils sont peut-être plus justement traduisibles en "campement". Néanmoins, j'ai choisit la traduction de village comme la connotation voulue est vraiment celle d'aller attaquer le clan dans son entièreté, même enfants et anciens.
  12. En langue Qesemti, "beaucoup" et "cent" sont dis de la même manière.
  13. Ce passage est très intéressant, comme il ne fait visiblement pas partie du récit originel - et n'a pas de parallèles dans d'autres cultures. C'est visiblement une manière de permettre au clan de Sïngokën, dont fait partie Irsdüna et dont ils disent descendre, d'être vu comme n'étant pas des antagonistes. C'est peut-être dans la même veine que le personnage de Tövvend est utilisé, afin d'avoir un personnage là pour être l'antagoniste au lieu de Smílìng.
  14. Du fait de la nature de la langue Qesemti, dans un phénomène que des amis nomment "harmonie", ce nom apparaît parfois comme "Yusaï" et parfois comme "Üsaya". Nulle forme n'est prévalente - selon le conteur, l'une ou l'autre peut être utilisé comme la racine - donc j'ai fait le choix d'utiliser Yusaï. Néanmoins, sachez que Üsaya est tout aussi correct comme nom pour ce personnage.
  15. Il y a beaucoup de désagrément sur la mort de Sïngokën selon les conteurs, avec certains disant qu'il est mort noblement en essayant de mettre fin à Tövvend, et d'autres disant qu'il lui était resté loyal, et donc à contre-cœur dû être tué par son clan. Je me suis donc permis de modifier cette version afin de rendre son rôle ambigu, comme c'est le cas dans certaines autres versions que j'ai entendu.
  16. Influence incontestable de la philosophie Ooxöoln. Ceci n'est que spéculation, il est probable que dans la version originelle, il soit devenu un hermite ou quelque chose de similaire, sans la mention du Soksëxkusang (l'illumination et la sortie du cycle des mondes), avec peut-être un rôle eschatologique comme on le voit souvent dans ce genre de récits et comme certaines de ses lignes le suggèrent dans d'autres récits.
  17. On voit ici la création des races primitives et des Quams, voyez les notes du point [9].
  18. Similairement à Imaüxin, on voit ici une inclusion de la philosophie Ooxöoln - bien plus maladroite. Il est facile de spéculer que Sagaja dans la version originale n'a que fait de devenir un grand arbre - l'Arbre des Fées.
  19. Ceci est probablement une référence aux anges, qui continuent de gouverner en notre monde, même si le personnage de Irsdüna est mort et donc ne peut plus gouverner sur les Qesemti (terminant chez eux le Cënïrqaxan).
  20. Pour ceux qui sont confus, comme ceci est une retranscription entière d'un mythe, j'ai aussi inclus la phrase de conclusion de la performance, qui est profondément entranchée dans la philosophie Ooxöoln.

    Notes sur le récit Eschatologique
     
  21. Tel Unnïn dans le [1], Cüqna est le mot standard pour dire fin, mais est visiblement personnifié dans la syntaxe/
  22. Notez que si la société n'existe plus, les être intelligents continuent d'exister, certainement sous forme d'animaux tels les autres. C'est donc une perte de l'intelligence, et non la perte de l'existence qui est important.
  23. Cela signifie que l'objectif de la religion Ooxöoln, qui est de sortir du cycle infini de renaissances, ne peut plus être atteint, comme les connaissances sont vues comme nécessaires pour pouvoir en sortir.
  24. Le mot utilisé dans la version originale est très couramment utilisé comme euphémisme pour "tuer". Cette double interprétation entre "terminer" et "tuer" est entièrement intentionnelle, et pas stylistique.
  25. Ici le concept de monde circulaire de la philosophie Ooxöoln réapparaît avec donc Unnïn qui suit Cüqna. J'ai aussi entendu certains conteurs appeler Unnïn le fils de Cüqna.

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